Votée par la Communauté d’Agglomération Pays Basque (CAPB) le samedi 5 mars 2022, la compensation est un mécanisme réglementaire qui consiste à obliger les propriétaires voulant louer de manière permanente un meublé de tourisme de type Airbnb à produire un nouveau logement de surface équivalente et situé dans la même commune. Petit décryptage.

Ce qui existait déjà

Depuis 2019, pour certaines communes de la “zone tendue”, il était nécessaire d’obtenir une autorisation temporaire de changement d’usage pour toutes les résidences secondaires utilisées comme meublés touristiques, permanents ou occasionnels, mais cette mesure présentait des limites. L’autorisation était systématiquement accordée pour un ou deux logements par personne et par commune, et seules les personnes physiques étaient concernées, ce qui exemptait les personnes morales, à savoir les SCI, SARL (soit ceux qui étaient le plus susceptibles d’avoir plus d’un logement !). Du coup, elle ne permettait pas de couper court à l’hémorragie du parc locatif à l’année transformé en parc touristique… Dans son diagnostic de la crise du logement au Pays Basque publié en juin 2021,  Alda avait détaillé ces limites et fait plusieurs recommandations à l’attention des décideurs.

Les mécanismes clés du règlement de mars 2022

Qui est concerné ? 

Le règlement concerne les 24 communes de la zone tendue du Pays Basque, à savoir Ahetze, Anglet, Arbonne, Arcangues, Ascain, Bassussarry, Bayonne, Biarritz, Bidart, Biriatou, Boucau, Ciboure, Guéthary, Hendaye, Jatxou, Lahonce, Larressore, Mouguerre, Urrugne, Saint-Jean-de-Luz, Saint-Pierre d’Irube, Urcuit, Ustaritz, Villefranque.

Le fonctionnement : 1 nouveau logement pour 1 meublé touristique  

Dans ces communes, un propriétaire qui voudrait transformer un logement en meublé de tourisme doit au préalable demander une autorisation de changement d’usage auprès de sa mairie. Cette autorisation ne sera accordée que si le propriétaire compense, c’est-à-dire qu’il transforme en parallèle un local, qui n’était pas déjà destiné à l’habitation, en logement à l’année. Donc pour 1 nouveau meublé touristique, il y a 1 nouveau logement créé et le nombre de logements disponibles sur la commune ne baisse pas.

Pas n’importe quel nouveau logement  

Le nouveau logement à l’année doit être décent, situé dans la même commune que le logement transformé en meublé touristique, et avoir au moins la même surface. Les multi-propriétaires ne peuvent donc pas compenser en faisant valoir un logement qu’ils auraient à l’autre bout du pays ou en faisant les marchands de sommeil et en proposant des logements insalubres. Ils ne peuvent pas non plus transformer un local commercial situé en rez-de-chaussée, afin de ne pas nuire au petit commerce de proximité.

Quelques exceptions 

Pour permettre aux étudiants de pouvoir se loger, certains propriétaires pourront conserver un système mixte pour leur logement : un bail étudiant de 9 mois (septembre à mai) et un bail touristique de juin à août. Mais, afin d’éviter les dérives des baux étudiants loués à des personnes qui ne sont pas étudiantes, il faudra que les propriétaires apportent la justification que leurs locataires sont étudiants.

Les propriétaires qui transforment une partie de leur maison en meublé touristique permanent sont également dispensés de compenser, s’ils respectent certaines conditions.

La différence entre meublé touristique permanent et occasionnel 

La compensation ne concerne pas les propriétaires qui, pour mettre un peu de beurre dans les épinards, proposeraient leur logement ponctuellement en location touristique lorsqu’ils sont absents, ou qui mettraient en location des chambres dans leur maison, à condition que ces locations ne dépassent pas 120 jours par an, et qu’il s’agisse bien de leur résidence principale. Bien sûr, cela ne les dispense pas de devoir demander un numéro d’enregistrement auprès de leur commune et de reverser la taxe de séjour.

Une victoire majeure : pourquoi ? 

Voici, en 5 points, les principales avancées de cette victoire.

1) La compensation permet de récupérer des logements pour les gens

Selon les estimations basses d’Alda, il y a au moins 6 000 à 7 000 meublés touristiques permanents en Pays Basque nord, et la réalité se situe probablement plus autour de 10 000. En 2018, le parc locatif à l’année était constitué de 42 265 logements. Tant que l’on ne faisait rien, les logements loués à l’année aux gens d’ici disparaissaient par milliers, peu à peu, transformés en meublés de tourisme.

La compensation va permettre de stopper net cette hémorragie et va agir directement sur la pénurie de logements pour les gens :

  • Elle est très contraignante donc c’est très difficile, voire impossible, d’acheter un logement pour le transformer en meublé de tourisme. Cela suppose d’avoir un local équivalent à proposer en logement à l’année, qui plus est dans la même commune et de la même surface…autant de conditions compliquées à remplir et qui rendent l’opération financière bien moins intéressante !
  • Elle va permettre de récupérer une partie des meublés touristiques actuels qui n’obtiendront pas leur renouvellement d’autorisation de changement d’usage (celles-ci n’ont été délivrées, à partir de 2020, que pour une durée de 3 ans) parce que les propriétaires ne seront pas en capacité de remplir les conditions de la compensation.
  • Elle va protéger les locataires actuels : en ce moment, de nombreuses personnes sont obligées de partir de leur logement car elles reçoivent un “congé pour vente”, c’est-à-dire une résiliation du bail annoncée 6 mois avant son renouvellement normal, pour motif de mise en vente de ce logement. Un grand nombre de ces congés pour vente se faisaient aux bénéfice d’acheteurs motivés par un investissement financier consistant à transformer une location à l’année en location touristique permanente  de type Airbnb, ce qui va dorénavant devenir très difficile. Moins d’acheteurs = moins de vendeurs = des locataires plus tranquilles !
  • Le nombre de logements à l’année ne va plus baisser : dans les rares cas où il sera possible d’acheter un logement pour le mettre en meublé touristique, il n’y aura plus le phénomène de diminution du parc locatif à l’année, puisque le propriétaire aura l’obligation de créer un nouveau logement.

2) La compensation permet de limiter les résidences secondaires 

La prolifération des meublés touristiques permanents signifiait également la multiplication des résidences secondaires. En effet, les personnes qui voulaient une résidence secondaire au Pays Basque mais ne pouvaient pas se la payer tout de suite choisissaient d’acheter leur futur logement secondaire et de le mettre en Airbnb pour rembourser le crédit. Les banques étaient alors plus enclines à délivrer les crédits nécessaires car les rentrées Airbnb venaient se rajouter à l’apport et aux revenus initiaux de l’acheteur potentiel. Conséquence directe de la compensation : les banques ne suivront plus un certain nombre d’acheteurs, privés des rentrées d’argent prévues grâce à la location touristique. Ainsi, moins de propriétaires pourront se payer le droit d’avoir deux logements, quand d’autres n’en ont même pas un !

 

3) La compensation permet d’agir contre la hausse des prix de l’immobilier et des loyers 

La compensation va stopper la fuite des logements en meublés touristiques, or cette pratique contribuait à tirer à la hausse les loyers et les prix de l’immobilier en aggravant la pénurie.

Le développement important des meublés de tourisme a eu un clair effet à la hausse sur les prix d’achat (possibilité d’acheter des résidences secondaires pour ceux qui n’en avaient jusque là pas les moyens donc augmentation de l’offre ou possibilité de surenchérir sur le budget initialement escompté, l’acheteur et les banques intégrant les rentrées de type airbnb dans le plan de financement). Le vote de la compensation par la CAPB ce 5 mars vient y mettre un coup d’arrêt, en impactant immédiatement les décisions des banques et celles des particuliers dans ce domaine.

 

4) La compensation a un impact écologique et climatique positif 

La pénurie de logements pour la population au Pays Basque est telle qu’il faut y apporter une solution et produire de nouveaux logements. Or, ces constructions incessantes de logements posent de nombreux problèmes. La bétonisation et l’artificialisation croissante des sols ont des impacts écologiques, climatiques et sociaux majeurs : dégradation des écosystèmes, perturbation des cycles de l’eau, disparition des terres agricoles allant de pair avec l’accroissement de la dépendance alimentaire et la paupérisation du monde paysan. Comme les gens ne peuvent pas se loger où ils travaillent, ils sont contraints d’habiter plus loin : autant de transports quotidiens, bien souvent en voiture individuelle, qui émettent des gaz à effet de serre responsables du dérèglement climatique et font exploser les dépenses des ménages.

 

5) La compensation contribue à l’amélioration de la qualité de vie

La compensation stoppera l’hémorragie du parc locatif transformé en meublés touristiques, et protégera les logements à l’année. En permettant ainsi aux locataires de continuer à habiter près de leur travail et activités quotidiennes, cette mesure agit directement sur la qualité de vie : moins de transports quotidiens, c’est moins d’épuisement et plus de temps qui peut être utilisé pour les loisirs !

C’est également une qualité de vie retrouvée pour certaines communes ou quartiers particulièrement affectés par le phénomène Airbnb: plus de mixité sociale, une économie tournée  vers les besoins du quotidien et non pas que seulement les activités touristiques, et moins de nuisances dans les immeubles où la location de courte durée pouvait être synonyme de bruit n’importe quand et d’incivilités.

 

Et ça va marcher ? 

Le mécanisme de compensation s’applique déjà dans des villes comme Paris, Bordeaux, Nantes, Strasbourg, et la Cour de cassation a confirmé sa légalité en février 2021, considérant que la mesure est “justifiée par une raison impérieuse d’intérêt général tenant à la lutte contre la pénurie de logements destinés à la location et proportionnée à l’objectif poursuivi en ce que celui-ci ne peut pas être réalisé par une mesure moins contraignante”. La compensation est donc blindée juridiquement par la plus haute juridiction de l’ordre judiciaire français.

Ce règlement de compensation est une victoire directe de la mobilisation citoyenne. C’est une avancée majeure résultant d’une action ayant combiné de manière exemplaire les propositions et l’engagement de la société civile et le travail d’élus déterminés à apporter des solutions efficaces à la crise actuelle du logement. Lire notre article détaillé.

À présent, nous veillerons avec vigilance à ce que son application soit respectée et à ce que les contrôles soient faits. Les modalités de contrôle de l’application de ce règlement conditionneront en effet son efficacité réelle. Comment et d’où se fera-t-il ? Par la CAPB ou les communes ? Via quelles modalités ? Pour Alda, il faudrait que cela se fasse par la CAPB. Si c’est le cas, quelles règles de répartition des recettes provenant des amendes, versées aux communes, afin de financer les coûts que cela générera pour la CAPB ? A partir de quand les recrutements nécessaires seront effectués ?  Autant de questions que nous suivrons de près !